CAO YU

CAO YU
CAO YU

Face au théâtre traditionnel, le drame moderne d’inspiration occidentale a eu quelque difficulté à s’implanter en Chine. Si le «théâtre parlé» [huaju ] (par opposition à l’opéra chanté) a finalement réussi à s’imposer dans les années trente, c’est en grande partie à Cao Yu qu’il le doit. Le succès rencontré aussitôt par ses différentes pièces ne tient pas seulement à la grande liberté des sujets abordés, mais aussi à un réel talent de dramaturge. Il est d’autant plus regrettable que celui-ci, après 1949, n’ait plus guère eu l’occasion de donner toute sa mesure.

Le poids du destin

Lorsqu’il publie, en 1934, sa première pièce dans la Revue trimestrielle de littérature (Wenxue jikan ) et adopte le nom de plume qui le rendra très vite célèbre, le jeune Wan Jiabao n’a que vingt-quatre ans. Mais il est issu d’une famille riche et cultivée, originaire du district de Qianjiang dans la province du Hubei. Il a pu ainsi recevoir à Tianjin, où résidaient son père et sa belle-mère, une bonne formation secondaire à l’école Nankai. Il y a même fait déjà partie d’une troupe de théâtre, avec laquelle il a joué, entre autres, des pièces d’Ibsen et L’Avare de Molière. Ses études supérieures, poursuivies à l’université Qinghua de Pékin, lui ont aussi permis d’acquérir des connaissances étendues dans le domaine des langues et des littératures étrangères.

Les pièces du jeune auteur dramatique, bien que profondément originales, sont, de ce fait même, pleines à la fois de souvenirs personnels et de réminiscences. Tel est notamment le cas de la première, L’Orage (Leiyu ). Fondée sur le principe classique de la reconnaissance successive des personnages, censés ignorer leur véritable origine, la pièce est une tragédie à bien des égards digne de l’Antiquité ou de Racine. Mais la découverte des liens incestueux et l’issue tragique qui en découle ne sont pas seulement une façon de mettre à nouveau en scène la fatalité du destin. Elles servent aussi et surtout à faire le procès de la famille chinoise traditionnelle, qui mêle les générations et donne aux hommes le droit de prendre autant de femmes qu’ils le désirent sans qu’ils aient à assumer les conséquences de ces unions successives.

Ainsi, un riche industriel, Zhou Buyuan, croit pouvoir vivre tranquille avec sa seconde femme Fanyi, leur fils Zhong et un autre fils Ping, né d’un premier lit. Or, ce dernier, après avoir été l’amant de sa belle-mère, s’est épris d’un amour partagé avec la servante de la maison Lu Sifeng. Survient alors la mère de celle-ci, qui découvre avec stupeur que le maître de maison est celui-là même qui, trente ans auparavant, l’avait séduite et abandonnée. D’où une situation inextricable, qui ne peut se dénouer que par la mort accidentelle de Sifeng et le suicide de Ping, tandis que Fanyi devient folle de jalousie et de chagrin.

Après cette pièce, très bien construite et menée, Cao Yu, avec Le Lever du soleil (Richu ), entend changer de type de composition. S’inspirant alors plutôt de Tchekhov, qui exercera sur lui l’influence la plus profonde, il cherche à brosser une vaste fresque sociale en faisant défiler, successivement dans le salon d’une prostituée de luxe, Chen Bailu, puis dans un bordel de troisième classe, toute une série de personnages. D’abord, un intellectuel naïf, Fang Dasheng, qui ne parviendra pas à arracher Bailu à son entourage; ensuite, plusieurs hommes d’affaires, parmi lesquels le banquier Pan Yueting, qui est l’amant en titre de la courtisane. Quand Pan, qui a été obligé de se séparer dans des conditions dramatiques de deux de ses employés, est contraint à la faillite, la jeune femme n’a plus d’autre solution que de se suicider, et Fang arrive trop tard. Mais dehors, dans la rue, des ouvriers saluent en chantant le soleil qui se lève.

En dépit de cet ultime rayon de lumière, Le Lever du soleil est une pièce noire, traduisant tout le désespoir de l’auteur devant une société en pleine décomposition, où, pour reprendre une citation de Lao Zi placée en exergue, «l’homme enlève aux pauvres pour donner encore plus aux riches». Très bien accueillie par le public, l’œuvre fut couronnée comme la meilleure pièce de l’année 1936 par le journal Da gong bao .

L’année suivante, Cao Yu fit paraître La Plaine sauvage (Yuanye ). Bien que l’action se situe à la campagne, loin des grandes villes comme Shanghai ou Tianjin, qui ont fourni le cadre des deux drames précédents, la nouvelle pièce forme avec ceux-ci une sorte de trilogie. Les humiliations, familiales ou sociales, n’ont que trop longtemps duré: l’heure est désormais à la revanche des humbles. Un paysan du nom de Chou Hu, injustement emprisonné après le meurtre de son père et de sa sœur par un propriétaire foncier, parvient à s’échapper et à revenir dans son village, bien décidé à venger sa famille. Mais le propriétaire est mort entre temps et son fils a même épousé Jinzi, la fille qu’aimait Chou. Celui-ci ne peut plus exercer qu’une vengeance indirecte, en tuant lui-même le fils et en faisant mourir le petit-fils, avant de s’enfuir avec sa bien-aimée. Malheureusement, le couple est poursuivi, et Chou, longtemps hanté par le souvenir de son geste et pris d’hallucinations, tel L’Empereur Jones de O’Neill, est amené à se suicider, tandis que Jinzi réussit à rejoindre un groupe de paysans révoltés.

La nécessité du changement

Quoique n’étant pas communiste (il ne le deviendra qu’en 1956), Cao Yu est, dès la veille de la guerre, visiblement conscient des transformations que son pays doit subir. Les trois pièces qu’il compose pendant et juste après le conflit le prouvent chacune à sa façon. La première, La Métamorphose (Tuibian ), a un titre qui ne prête pas à équivoque. Grâce à l’action énergique de l’inspecteur Liang et de la doctoresse Ding, un hôpital qui ne fonctionnait plus en raison de la corruption et de l’inertie de ses administrateurs est complètement réorganisé et peut ainsi répondre aux besoins du pays en soignant les blessés qui affluent du front.

La troisième pièce, Le Pont (Qiao ), montre de même les efforts d’un industriel, Shen Zhefu, et de son fils, l’ingénieur Shen Chengcan, pour assurer une production d’acier d’une qualité suffisante malgré les obstacles nombreux qu’ils rencontrent dans les milieux financiers et gouvernementaux. Entre ces deux œuvres, qui mettent directement en cause les autorités nationalistes, L’Homme de Pékin (Beijing ren ) semble un peu en retrait: le drame décrit le déclin d’une vieille famille pékinoise, les Zeng, dont aucune des trois générations n’est capable d’assurer la subsistance et où le bonheur de chacun est ruiné par la morale traditionnelle et les mariages arrangés. En réalité, c’est là aussi un thème important, que Cao Yu a repris en 1941 en adaptant pour la scène La Famille (Jia ), le chef-d’œuvre de Ba Jin.

Après la guerre, Cao Yu se rend aux États-Unis en compagnie de Lao She, invité comme lui par le State Department. Il y rencontre Bertolt Brecht, mais ne prolonge pas son séjour. Il rentre à Shanghai, où il réalise un film, Une journée lumineuse (Yanyangtian ), dont le personnage principal, un avocat en lutte contre le Guomindang, est incarné par le célèbre acteur Shi Hui. Le régime communiste, aussitôt installé au pouvoir, récompensera le dramaturge progressiste en lui confiant d’importantes responsabilités, qu’il perdra pendant la révolution culturelle mais pour les retrouver ensuite. Cao Yu sera président de l’Association des auteurs dramatiques de Chine et directeur du Théâtre d’art du peuple de Pékin. Il a fait jouer en 1979 une pièce historique célébrant l’union entre le peuple chinois et les minorités nationales, mais cette Wang Zhaojun , composée à la demande de Zhou Enlai, ne vaut guère mieux que les deux autres commandes antérieures, dont on ne donnera ici que le titre: Le Ciel radieux (Minglangde tian ), 1956, et La Bile et l’épée (Dan jian pian ), 1962.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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